Contactez-nous

Envoyés de par le monde pour propager la foi, les missionnaires ont joué un rôle non négligeable dans l’histoire de la chrétienté, notamment après la « découverte » de l’Amérique. Si l’on a conservé différents témoignages écrits d’expéditions et divers récits relatant l’évangélisation des peuples du Nouveau Monde, certains épisodes et le profil des prédicateurs qui ont participé aux missions Outre Atlantique demeurent parfois encore méconnus. Tel est par exemple le cas de plusieurs jésuites liégeois partis en Amérique au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. C’est ce sujet qu’abordera Lionel Mira Torres le 15 octobre prochain à la Société Royale Archéo-Historique de Visé (salle polyvalente des Tréteaux, à 20h), lors de sa conférence intitulée Les jésuites liégeois en Amérique latine. Rencontre avec un jeune chercheur qui tente de retracer l’histoire de missionnaires liégeois.

Un chercheur passionné

Passionné par l’Amérique du Sud depuis l’enfance, Lionel Mira Torres s’intéresse également à l’histoire de l’Eglise. Doctorant en histoire moderne à l’Université de Liège, il est titulaire d’un mandat d’aspirant du F.R.S.-FNRS* depuis octobre 2024. 

Débutée en 2022 et réalisée sous la supervision d'Annick Delfosse (ULiège), de María Laura Salinas (Universidad del Nordeste, Argentine) et de Christian Grosse (Université de Lausanne), sa thèse vise à comprendre comment les objets (tableaux, instruments de musique, objets liturgiques, imprimés…) ont été mis à profit par la Compagnie de Jésus pour développer l’entreprise d’évangélisation et de colonisation de l’Amérique latine, singulièrement du Paraguay. 

Lionel Mira Torres ©Lisa Jabbar 

 

Un sujet qu’il avait déjà pu toucher du doigt pendant son master en histoire. Dans son mémoire de maîtrise, il étudie en effet l’Historia Provinciae Paraquariae Societatis Iesu (Histoire de la province du Paraguay de la Compagnie de Jésus) de Nicolas del Techo. Cette œuvre, imprimée à Liège en 1673, constitue une importante source historiographique. L’auteur y raconte l’histoire de la province jésuite du Paraguay, mais, par son récit, il cherche aussi à encourager de nouveaux missionnaires à partir d’Europe pour rejoindre les terres paraguayennes.

Valoriser le patrimoine 

Le jeune chercheur affirme qu’il est particulièrement attaché à la valorisation du patrimoine local et à la diffusion du savoir historique. “Je m’engage donc volontiers auprès d’associations œuvrant dans ce domaine. C’est dans cet esprit que j’ai accepté avec enthousiasme l’invitation de la Société Royale Archéo-Historique de Visé à donner une conférence. Cette intervention s’avère également être une belle opportunité d’approfondir l’histoire qui lie Liège et sa région à l’Amérique, à travers le parcours des missionnaires jésuites.”

 A la découverte des jésuites liégeois

Les recherches que Lionel Mira a menées lui ont permis de faire des découvertes importantes. Ainsi a-t-il appris qu’une dizaine de religieux originaires de la région liégeoise (ou rattachés d’une manière ou d’une autre à la ville de Liège) sont partis pour évangéliser le Nouveau Monde aux XVIIe et XVIIIe siècles. “Ce mouvement s’inscrivait dans un contexte local particulièrement propice : terre de frontières confessionnelles, Liège, avec ses collèges jésuites, wallons et anglais, était le théâtre d’une intense activité religieuse, intellectuelle et sociale. La lecture des récits missionnaires, largement diffusés dans ces milieux, a nourri des vocations et stimulé l’imaginaire d’une mission lointaine.” L’installation de missionnaires sur les terres d’outre-mer a permis de créer des liens et des réseaux importants entre Europe et Amérique. Le chercheur est par ailleurs parvenu à mettre en lumière les mécanismes de recrutement de ces religieux (comme la circulation d’informations entre les collèges de la région liégeoise) et a exhumé des archives concernant ces missionnaires jusqu’alors inédites et peu étudiées.

Anonyme, Les jésuites dans la bataille de Lépante, vers 1600, huile sur toile, collection du Museo Nacional de Colombia

Lorsqu’on lui demande pourquoi il est important de s’intéresser à ce domaine, Lionel Mira répond avec conviction :

“Dans un contexte où la Belgique s’engage dans un vaste travail de relecture de son passé colonial, l’étude de la participation de religieux s’impose, alors même que l’histoire des missionnaires de nos régions fait l’objet de notables lacunes mémorielles. La mémoire de l’activité missionnaire wallonne en Amérique — et plus largement dans le monde — demeure aujourd’hui largement défaillante, alors qu’elle est beaucoup plus vivante en Flandre. À titre de comparaison, on recense en Wallonie entre dix et vingt plaques de rue ou monuments dédiés à la mémoire d’un missionnaire, contre plus de trois cents en Flandre (Goddeeris, 2021). Le récent Canon van Vlaanderen, commandé par le gouvernement flamand en 2022, consacre d’ailleurs l’un de ses volets à l’histoire des missionnaires flamands, en particulier à la figure de Pierre de Gand. En revanche, du côté francophone, cette histoire demeure rarement enseignée et largement méconnue du grand public.”

Lors de la conférence qu’il donnera le 15 octobre à Visé, le jeune chercheur présentera ainsi le profil de ces missionnaires jésuites de la région liégeoise, veillera à donner une analyse des sources conservées à leur propos et tâchera de répondre aux questions suivantes : comment expliquer leur départ ? Quels imaginaires, quelles motivations et quelles stratégies les ont animés ? Comment leur action missionnaire s’est-elle inscrite dans les dynamiques, souvent asymétriques, de la colonisation et de la rencontre avec les peuples autochtones ?

Découvrir ou redécouvrir notre histoire locale, les figures méconnues qui y ont joué un rôle pourtant essentiel et les liens étroits qui unissent nos régions à l’Amérique, voilà ce que vous propose Lionel Mira Torres.  

Sandra OTTE

*F.R.S.-FNRS: Fonds de la Recherche Scientifique - Fonds National de la Recherche Scientifique